L’aventure argentine. Plongée dans l’énergie des plantes de la Vallée de Calamuchita
/ La Vallée de Calamuchita.
Qu’est-ce qui a poussé mon ami Juan à me dire que la Province de Cordoba consacrait une zone entière de son territoire à la culture et l’élevage exclusivement naturels, interdisant l’emploi d’agrotixicos dans toute la Vallée de Calamuchita et la région d’Amboy jusqu’au sommet du Champaqui ? A l’entendre, en tout cas, j’ai sursauté d’un enthousiasme libérateur, altéré néanmoins d’incrédulité. En même temps que je me réjouissais à cette perspective, j’échafaudais le moyen de vérifier cette information avant de la valider comme une certitude.
Juan est un érudit en construction. Il quitte dès que ses moyens financiers le lui permettent son activité de cuistot, pour apprendre des plantes du territoire des Comechigones. Ils les repère, leur parle, cherche à les comprendre, les distille, les infuse ou les compare, mémorise leurs vertus sans relâche. Il mesure la quantité de ce qu’il ignore encore mais sa curiosité dans ce nouveau métier en fait un chercheur invétéré. Humble face à l’histoire de la Vallée et aux mystères du Champaqui, il est assurément digne de confiance. J’avais pu en faire l’expérience à diverses reprises alors que je ne le connaissais pas depuis très longtemps. Pourtant cette information qu’il me partageait me forçait au doute. Bien sûr ! ce serait formidable que cette zone soit protégée, compte tenu de son caractère si spécial, sa vibration, sa beauté irrévérencieuse, sèche, argentée et abrupte l’hiver, douce et verte l’été, mais comment le serait-elle ? compte tenu de ce qu’est la politique argentine aujourd’hui, son rapport à la nature et à la valeur des espaces, sa vraie envie de profiter de la vie sauvage d’un coté et son incapacité de l’autre à protéger son trésor.
Protéger son trésor, sa ressource, son histoire, ce qu’il y a de plus précieux en soi… telle est la compétence qu’on voudrait se découvrir. L’Argentine se cherche. Toujours consciente de sa richesse, elle se dénigre pourtant avec passion. L’amour qu’elle se porte semble vacillant. Parfois enflammée par son enthousiasme, par son rêve de rayonner ou le souvenir de ce qu’elle fut, elle sait aussi se piétiner et mépriser les siens. Pour le moins, ne pas leur faire confiance. Se méfier du semblable lui sert peut-être à se défier elle-même. Si elle peut, plus que d’autres, se montrer douce – tellement chaleureuse et câline en vérité – il lui arrive d’être son propre boureau. Comme elle a ignoré l’existence de ses premiers hommes, déchiqueté ses Indiens ensuite, elle se maltraite encore à l’envie aujourd’hui.
La richesse de la terre, l’abondance de l’eau, l’omniprésence du soleil pourraient nourrir des générations d’hommes libres. Au lieu de cela, elle a tué le tiers de ses prairies. Les sols arrosés de pesticides mettent dix ans à mourir. Le soja transgénique, la monoculture de la cacahuète, l’abandon progressif de l’élevage extensif sont entrés par effraction dans un pays qui chante pourtant son attachement à la Terre. N’ayant jamais appris à se protéger, elle s’est laissée dépecer par les plus grosses multinationales des mines et de l’agroalimentaire. Sa défigure promet aux optimistes une reconquête de son espace naturel, mais elle est trop intimement abîmée par l’assaut qu’elle a subi pour flamboyer avec la même arrogance qu’autrefois.
Voilà pourquoi entendre dire qu’une décision politique offrait un écrin à la vallée de Calamuchita, la protégeant de l’enfer qu’a connu la plaine en contrebas, était étonnant et prometteur à la fois. Mais se protéger de l’intrusion tout en restant ouvert ne s’érige pas en un jour, et moins encore en une simple signature au bas d’une loi provinciale.
Déjà avec l’ambition d’infléchir la tournure bêtement touristique que prenait le développement de l’activité autour des lacs d’Embalse et de los Molinos, nous oeuvrions à fédérer les acteurs de l’écologie locale, les amoureux des sols, les conteurs de légendes anciennes, les guérisseurs, les éthno-médecins, les aficionados de l’énergie de Calamuchita. Juan, comme nous, comme d’autres dont nous découvrirons les bienfaits au fur et à mesure de notre avancée, faisions partie de cette armée pacifique, soucieuse d’environnement, et animée par les festivités du vivant. Etre aidés d’une loi, ou à défaut d’une intention de protection, par le truchement du levier de l’état aurait été une aubaine certaine. Mais ici, le moindre lobby a valeur de code civil et les politiques se nourricent aux grains des labos du transgénisme qu’elles viennent picorer jusque dans leur main, arrosées de leurs pulvérisations tout azimut. D’où serait donc sorti cet étrange courage qui aurait permi à un gouverneur de s’opposer frontalement aux lois du commerce agroalimentaire de masse ? et pourquoi Juan en était-il persuadé ?