Le massage psycho-somato-intuitif

Notre structure corporelle est notre grille de lecture du monde.
L'assouplir donne de nouvelles perspectives.
Par Manuel GASTAMBIDE, fondateur de l'Ecole du Massage Intuitif et somatothérapeute.
Les émotions n’occupent pas que notre mental. Elles vivent dans le corps, s’y propagent comme des ondes à la surface de l’eau, et parfois s’y inscrivent durablement. A force d’emprunter telle ou telle voie dans nos tissus, elles dessinent des chemins, tracent des autoroutes neuromusculaires que peu à peu nous privilégions, au détriment de sentiers à l’abandon. En circulant dans notre corps, les émotions nous structurent. Et leurs empreintes vont finalement nous conditionner dans notre façon de ressentir le monde et de vivre la relation.
Vmanu

Comme une corde de violon, qui vibre différemment selon sa tension, nos tissus, qu’ils soient peau, muscle, fascia ou os, laissent courir les émotions ou au contraire les bloquent. Un traumatisme, une frustration, une incompréhension ?… et voilà qu’apparaît une retenue dans le corps, un obstacle que la vibration émotionnelle ne pourra plus franchir naturellement. Un moment de bonheur, une vague émotionnelle plus douce, un sens donné à une souffrance d’autrefois ?… et c’est tout un champs oublié de soi-même qui est réinvesti et qui s’ouvre à nouveau à la vibration et à la sensation.

Dans le cadre d’un travail sur soi, il est intéressant d’engager son corps dans la compréhension de ses peurs, de ses colères, de ses joies, de ses dégoûts ou ses tristesses. « Le corps ne ment pas », dit-on ; il nous parle de notre histoire physique et psycho-émotionnelle. L’écouter est déjà une façon d’avancer ; l’accepter dans son intégralité, avec ses forces et ses faiblesses, c’est s’offrir une forme d’amitié intime qui peut nous soutenir dans bien des épreuves.

Un corps palpable, qui dit sa souffrance et sa jubilation d’être.

Travailler sur soi est une démarche honnête et enrichissante. Impliquer son corps dans ce travail est peut-être encore plus courageux, comme si l’on abordait autrement sa propre réalité, avec moins de détours, moins d’abstraction. Car le corps est là, palpable. Comme un grand livre qui consigne notre naissance, notre enfance, notre adolescence et les grands moments de la vie. La relaxation, le travail corporel, la danse-thérapie ont tous en commun de libérer les tensions et les restrictions du mouvement. Le massage intuitif, lui aussi, prétend  » fluidifier  » la vie. Quand en plus il prend une dimension somatothérapeutique – qu’il invite à faire le lien entre les tensions physiques et les causes émotionnelles de ces blocages – il devient un levier puissant de compréhension de soi et d’évolution.

Les trois piliers théoriques du massage intuitif somatothérapeutique.

Le massage psycho-somato-intuitif, ou massage somatothérapeutique, s’appuie, d’abord, sur la vision reichienne d’un corps plus ou moins cuirassé qui fait obstacle ou non à la circulation de l’énergie vitale suivant un principe de polarité plaisir versus angoisse. Pour Wilhelm Reich, le corps dans lequel l’énergie circule librement est vu comme sain, tandis que celui dont un ou plusieurs anneaux de restriction font obstacle à l’écoulement de l’énergie coïncide avec l’état névrotique. En cela, on peut dire du massage somatothérapeutique qu’il est un massage néo-reichien.

Il s’inclut ensuite dans la tradition de la psychothérapie humaniste. Pour Carl Rogers, trois attitudes sont fondamentales pour offrir à la personne les conditions qui permettent à la tendance naturelle au développement de soi de s’actualiser : l’accueil inconditionnel du client, la congruence du thérapeute dans la prise de conscience et l’expression de ses ressentis, et l’écoute empathique. Ces trois compétences développées par les masseurs intuitifs sont nécessaires autant pendant le massage que dans le cadre de la relation qui l’inclut et le balise.

Enfin, le massage intuitif partage les conceptions de l’ostéopathie biodynamique ou ostéopathie fluidique imaginée par Rollin Beckert, d’après les découvertes de William Sutherland. L’ostéopathie considère le corps comme une unité. Leur vision est donc holistique, comme l’est notre approche. Le massage intuitif fait le constat que toute perturbation d’une partie du corps, qu’elle soit d’origine émotionnelle ou traumatique, a un impact sur les autres régions du corps via des interactions membraneuses, myofasciales, articulaires, osseuses, neurologiques, vasculaires ou énergétique. Sutherland préconisait déjà de « permettre à la fonction vitale interne de manifester sa puissance infaillible, plutôt que d’appliquer une force aveugle venue de l’extérieur« . Comme eux, le masseur intuitif consacre une écoute intense aux corps tissulaire, fluidique et énergétique et, à travers eux, à la personne massée. Cette écoute intense se rapproche de l’empathie décrite par Carl Rogers. Quant à l’action bienfaitrice de la « fonction vitale », permise par l’atteinte de la tranquillité, elle est à l’image de la tendance actualisante définie par les psychologues humanistes. Des processus d’autoguérison et d’autorégulation se mettent en mouvement dans le corps de la personne massée (et parfois dans le corps du praticien lui-même). La prise en considération, par un praticien empathique, congruent et sans jugement, de la personne dans l’ensemble de ses dimensions, est la clé de son évolution.

« Chaque tension musculaire contient l’histoire et la signification de son origine » constatait déjà Wilhelm Reich. Le massage – c’est son aspect découvrant – permet d’interroger sans mots les origines émotionnelles de chaque blocage énergétique, d’amener la personne à prendre conscience de ses déséquilibres, de ses raideurs, de ses trous dans le corps, de ses ruptures et de ses fulcrums inertiels, pour en comprendre le sens. Il peut aussi – par son côté recouvrant – refermer les blessures symboliques, relier les parties d’un corps vécu comme morcelé, reconstruire, unifier, harmoniser.

Une relation intime et réciproque.

La relation silencieuse qui s’instaure à travers le toucher n’est pas neutre. Elle est intime et réciproque : lorsqu’on est touché, on touche en même temps. La qualité de toucher s’inscrit dans l’histoire de chacun. Comment a-t-on été touché et embrassé ? Avec qu’elle sérénité ou au contraire quelle appréhension, ressentie inconsciemment, a-t-on été caressé, soigné, coiffé, nettoyé et porté dans notre enfance ? De cette histoire tactile, il reste une façon bien à soi de toucher et de se laisser toucher, de s’ouvrir ou de se fermer au contact de l’autre. Ces ouvertures, ces fermetures, comme les émotions non résolues du passé, sont inscrites dans la structure du corps. Le massage va les mettre en évidence en révélant aux doigts du praticien les blocages et les fuites d’énergie, mais aussi les parties déjà fluides sur lesquelles il va pouvoir s’appuyer.

Pour la personne qui reçoit le massage, les blocages seront ressentis comme des douleurs, des tensions, des zones sans vie. En laissant un espace d’écoute aux perturbations – et pour autant que la relation de confiance et l’alliance thérapeutique se soient instaurées entre le masseur et le receveur – elles vont se mettre à « parler ». Elles vont raconter le pourquoi de leur origine, les souffrances qu’elles renferment et les raisons pour lesquelles elles n’ont pu s’en défaire. Après l’expression de ce trop plein de souffrance, qui peut se faire par la parole mais aussi par des mouvements spontanés de libération ou par des larmes, des cris, des rires, vient le moment de l’apaisement : la perturbation se transforme en courant régulier, simplement parce qu’elle a pu dire son existence.

L’émotion peut de nouveau circuler. La structure s’est modifiée. De cette transformation naît une façon différente d’aborder le monde et la relation. Même le passé, qui semblait si douloureux, si limitant, est réinterprété par une pensée plus compréhensive. Le corps, support du Soi, a lâché un poids qu’il n’a plus à porter. Il est plus mobile, plus souple, plus conscient de son axe et de son enveloppe, plus inscrit dans le présent, potentiellement plus disponible pour s’engager dans la relation ou dans l’action. En expérimentant sa nouvelle structure, la personne intègre un autre espace de possibles, dans lequel la vie est plus  » fluide « . Les émotions ne résonnent plus de la même manière en elle. Au lieu de bloquer contre les failles du passé, elles redeviennent ce qu’elles sont : une énergie motrice, créatrice, libre de circuler.

Manuel GASTAMBIDE
Fondateur de l’Ecole du massage intuitif